Le 19 septembre 2024, la mairie de Toulouse a fait appel au Messageur afin de sous-titrer…
Conseil lecture : La Vie en sourdine, de David Lodge
Muriel, interprète de l’écrit au Messageur et lectrice invétérée, nous conseille un roman qui l’a marquée et qui relate les aventures d’un personnage malentendant.
Captivant et drôle ! C’est à regret que j’ai refermé le formidable livre de David Lodge, La Vie en sourdine, qui m’a accompagnée pendant le mois de décembre 2023.
La Vie en sourdine est un roman qui met en scène Desmond Bates, un professeur d’université qui a opté pour un départ en retraite anticipé, en partie pour résoudre l’épineux problème que représente pour lui la survenue d’une surdité tardive et plutôt sévère. Cependant, ce jeune retraité s’accommode mal de ses débuts dans le 3ème âge ; il regrette la perte de son statut professionnel, redoute l’ennui et la routine, ressasse les souvenirs dans de longs monologues édifiants qu’il confie à son journal – au lecteur donc – s’attriste de l’état de son vieux père, dont il s’occupe, et boit plus que de raison … Pourtant, il est loin d’être sur la touche ! Remarié, entouré d’enfants, de petits-enfants et toujours passionné par son métier pour lequel on continue à le solliciter, l’agenda de Desmond se remplit d’occupations et de rendez-vous très variés qui, bien que très vraisemblables, sont autant de situations rocambolesques. On rit franchement à la lecture de ses mésaventures que le narrateur restitue sans fard à la façon d’un journal intime.
« La surdité est toujours comique », concède Desmond Bates. Si la surdité est souvent à l’origine des situations cocasses qu’il affronte et qui prêtent le lecteur à rire, au-delà du handicap c’est bien l’individu qui nous touche par ses faux-pas involontaires, ses angoisses existentielles dans lesquelles on peut le rejoindre… avec Desmond, l’enfer est pavé de bonnes intentions !
En épilogue, l’écrivain David Lodge nous révèle que la surdité de son héros et le personnage de son père ont pour origine sa propre expérience. Ceci explique la justesse de ce roman qui nous emmène de plain-pied dans la vie pimentée d’un sexagénaire devenu sourd.
J’ai refermé ce livre avec une seule idée en tête, reprendre un autre roman de David Lodge.
Issues de ce roman, quelques citations qui évoquent la surdité du personnage de Desmond Bates
« Paradoxalement, la surdité ne rend pas le silence moins attrayant, bien au contraire. L’expérience auriculaire est faite à la fois de silence, de sons et de bruit. Le silence est neutre, un état de latence. Les sons ont du sens, ils véhiculent de l’information ou communiquent un plaisir esthétique. Le bruit est laid et dépourvu de sens. La surdité transforme tant de sons en bruits que vous préférez opter pour le silence – d’où le plaisir de parcourir ces rues libres de toute circulation. »
« Est-ce possible, après tout, que ce groupe de rock à Fillmore West ait provoqué un suicide massif dans mes oreilles internes ? Si je me rappelais le nom du groupe, je pourrais les poursuivre en justice, mais il doit sans doute y avoir prescription. Ils sont probablement tous sourds eux-mêmes depuis le temps, de toute façon. Je l’espère. La bonne nouvelle, c’est que les antioxydants contenus dans le vin rouge peuvent contribuer à prévenir la perte des cellules ciliées. »
« Sylvia Cooper, l’épouse de l’ancien directeur du département d’histoire, m’a embringué dans une de ces conversations ou votre interlocuteur dit quelque chose qui ressemble à une citation d’un poème dadaïste, ou à une de ces phrases impossibles à la Chomsky « Quoi ? » ou « Je vous demande pardon ? » Et votre interlocuteur répète les mêmes mots qui se révèlent avoir un sens tout à fait banal.
« La dernière loi en danse il faisait si seau, semblait dire Sylvia Cooper, qu’on a passé le plus colère de notre temps dans notre shit, qu’l’eau très derrière des balais.
_ Quoi ?_ Je disais que la dernière fois en France il faisait si chaud qu’on a passé le plus clair de notre temps dans notre gîte, claustrés derrière les volets.
_ Oh, il faisait si chaud que ça ? Ai-je demandé. Ce devait être pendant l’été 2003.
_ Oui, on était prêt à ce que ça sonne à la pelle en droit. Mais malheureusement, c’est lâché par les puristes.
_ Vous disiez ?
_ On était près de Carcassonne, un bel endroit. Mais malheureusement, c’est gâché par les touristes.
_ Ah oui, c’est partout pareil ces temps-ci, ai-je répondu sagement.
_ Mais je recommande le sherry. Barque et pique-lasso se sont plaints là, vous savez. Il y a un char à banc remisé dans la poterne.
_ Sherry ? Ai-je dit, dubitatif.
_ Céret, c’est une petite ville au pied des Pyrénées, a dit Mrs Cooper quelque peu impatiente. Braque et Picasso ont peint là. Je vous recommande l’endroit.
_ Ah, oui, j’y suis allé, me suis-je empressé de dire. Il y a une assez jolie galerie d’art.
_ La muse et le lard moderne.
_ En effet, ai-je dit en regardant mon verre. Je crois que j’ai besoin de refaire le plein. Puis-je vous rapporter quelque chose ? »
À mon grand soulagement, elle a décliné mon offre. »
« Il y a au moins une chose que nous autres, les sourdingues, réussissons à faire dans une réception, c’est de déclencher le rire des gens avec nos bourdes, et ils n’ont pas eu à se plaindre de moi en la circonstance. »